Développement comportemental : facteurs épigénétiques ou environnementaux (environnement physique postnatal précoce)

Citation

« Le cerveau s’atrophie lorsque l’animal est élevé en isolement sensoriel, et se développe au-delà de la moyenne dans un environnement d’hyperstimulation auditive, visuelle, affective, tactile… »

Boris Cyrulnik

Documentation web

Sommaire
  1. Développement comportemental : vue d'ensemble
  2. Ontogenèse des comportements
    1. Facteurs génétiques
    2. Facteurs épigénétiques
      1. Période prénatale
        1. Position relative des foetus dans l'utérus
        2. Stimulations tactiles des foetus
        3. Influence du régime de la mère sur les choix alimentaires des jeunes
        4. Stress prénatal et conséquences
          1. Observations
          2. Mécanismes
            1. Hormones de stress de la mère
            2. Stimulations tactiles des foetus
        5. Conclusion sur le rôle des facteurs épigénétiques dans la période prénatale
      2. Période postnatale
        1. Immaturité des nouveau-nés
          1. Espèces nidifuges
          2. Espèces nidicoles
          3. Développement comportemental des nidicoles
        2. Privations d'expériences, expériences d'isolement ou déprivations
          1. Environnement physique postnatal précoce
            1. Développement de la fonction visuelle
              1. Développement de la spécificité directionnelle
              2. Développement de la binocularité
            2. Développement des barillets corticaux chez la souris
            3. Théorie de stabilisation sélective de Changeux
              1. Différentes phases de l'évolution neuronale
                1. Phase de croissance ou de prolifération : programme génétique de croissance
                2. Phase de réaménagement synaptique
                3. Phase de mort neuronale
              2. Conséquences fonctionnelles
                1. Explication du développement de la spécificité directionnelle visuelle
                2. Généralisation à l'homéostasie sensorielle
          2. Environnement social postnatal précoce
            1. Privation sociale chez le Macaque rhésus
            2. Privation sociale chez le chien
            3. Homéostasie sensorielle
            4. Rôle des partenaires sociaux
              1. Mère
              2. Fratrie et contemporains d'âge
              3. Adultes, moniteurs ou chien " thérapeutes "
              4. Homme
      3. Plasticité des comportements chez l'adulte
      4. Conclusion sur les facteurs épigénétiques
    3. Conclusion générale sur l'ontogenèse des comportements
  3. Périodes du développement comportemental du chien et du chat
    1. Généralités
    2. Enjeux
    3. Périodes
      1. Période prénatale du chien et du chat
      2. Période néonatale du chien et du chat
      3. Période de transition du chien et du chat
      4. Période de socialisation du chien et du chat
      5. Période juvénile du chien
    4. Différences de développement comportemental entre le chien et le chat
  4. Processus particuliers
    1. Période sensible
    2. Comportement maternel
    3. Empreinte ou imprégnation
    4. Attachement
    5. Autonomie des jeunes
    6. Socialisation
      1. Socialisation intraspécifique
      2. Socialisation interspécifique
    7. Homéostasie sensorielle
    8. Acquisition des autocontrôles
    9. Détachement
  5. Développement comportemental du chien
  6. Développement comportemental du chat
  7. Troubles du développement comportemental du chien et du chat
  8. Prévention des troubles du développement comportemental du chien et du chat

Bibliographie

Nous allons nous intéresser à l'influence de l'environnement physique précoce sur deux domaines particulièrement étudiés - nous aurions pu prendre bien d'autres exemples - :

David Hunter Hubel
David Hunter Hubel

L'homéostasie sensorielle relève de processus identiques et est étudiée à part, vue son importance dans le développement comportemental.

Développement de la fonction visuelle

L'existence de périodes sensibles pour l'acquisition de certaines compétences sensorielles a été particulièrement bien démontrée par David Hunter Hubel et Tortsen Wiesel.

Ces neurobiologistes, américain et suédois, ont travaillé dans les années 60-80 sur la fonction visuelle chez le chat.

Ils obtiendront le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1981 pour « leurs découvertes concernant le traitement de l'information dans le système visuel ».


Chez le chat, la vision devient fonctionnelle vers l'âge d'une semaine (période néonatale) par l'ouverture des paupières et la maturité du cortex sensoriel visuel.

Ces scientifiques ont soumis des chatons à des privations sensorielles en les plaçant dans des environnements visuels contrôlés à différentes étapes de leur développement et durant des périodes plus ou moins longues.

Développement de la spécificité directionnelle

Tortsen Wiesel
Tortsen Wiesel

A la naissance, le cortex visuel est très immature et la plupart des synapses doivent encore se former.


La non-utilisation de ses synapses provoque des changements dans la structure et dans le fonctionnement des voies optiques.

1er temps : Dans l'une de ces expériences, des chatons étaient placés dans un environnement constitué de rayures orientées dans une seule direction (verticale, par exemple) quelques heures par jour, ceci depuis l'âge de 1 semaine jusqu'à l'âge de 6 semaines.

Durant les périodes d'exposition à l'environnement visuel contrôlé, les chatons étaient munis de collerettes les empêchant de voir leur propre corps. En dehors de ces périodes, les animaux étaient maintenus dans l'obscurité, en compagnie de leur mère et du reste de la portée.

2ème temps : à l'issue de la période de privation, ces chatons ont été replacés dans un environnement visuel normal.


Sur le plan comportemental, ces chatons montraient de grandes difficultés à détecter des objets allongés dans la direction horizontale ou se déplaçant dans cette direction.


Lignes dans le désert
Lignes dans le désert
(Photo : creativecommons.org/Appy29)

Des enregistrements électrophysiologiques ont été réalisés dans le cortex visuel primaire de ces chatons, et en particulier dans la couche IV.

  • Les neurones de cette structure sont dits neurones à orientation sélective : ils sont excités de façon préférentielle par une orientation définie, et répondent de moins en moins lorsque l'on s'éloigne de cette orientation.

Un neurone A répondra par exemple de façon maximale à la présentation d'une barre lumineuse orientée dans la direction verticale. Il répondra moins à une barre inclinée de 10° par rapport à la verticale, et ne répondra plus du tout à une barre inclinée à 15°.

  • Au moment de l'ouverture de ses paupières, la majorité des neurones du cortex visuel primaire ne sont pas spécialisés dans la détection d'une direction particulière : ils sont non spécifiques et peuvent potentiellement détecter n'importe quelle direction.

Chez un individu placé dans un environnement normal, des populations de neurones se spécialisent par apprentissage, pendant une période donnée, dans la détection d'une direction particulière : l'animal peut donc toutes les percevoir.

1. Chez les chatons élevés dans un environnement visuel exclusivement constitué de rayures verticales en revanche, les enregistrements électrophysiologiques montrent qu'aucun neurone ou presque n'est activé par la présentation de barres lumineuses orientées dans la direction horizontale.

2.Des résultats comparables ont été retrouvés pour des privations portant sur des directions différentes (horizontales, obliques, ...) entre l'âge de 1 à 6 semaines (S1 à S6).

Binocularité chez le chaton3. En revanche, des privations plus brèves (entre S2 et S4 ou entre S3 et S5 par exemple) ou plus tardives (après S6) n'entraînent pas de déficit de détection directionnelle.


Pour que l'animal soit capable de détecter l'ensemble des directions, il faut qu'il ait été exposé à un environnement visuel complet entre S1 et S6 : c'est une période sensible pour le développement de la spécificité directionnelle.

Développement de la binocularité

Dans une autre expérience, Hubel et Wiesel ont étudié la mise en place de la binocularité, aptitude à voir avec les deux yeux et donc à voir en relief.

Si l'on soumet des chatons à une privation monoculaire (suture des paupières d'un oeil) durant les 6 premières semaines de vie postanatale, ils perdent de façon définitive l'usage de l'oeil clos une fois la suture enlevée.


Ces expériences ont permis de découvrir les colonnes de dominance oculaire du cortex strié (aire visuelle primaire ou V1).


Les enregistrements électrophysiologiques montrent que les cellules du cortex visuel primaire ne répondent pas aux stimulations visuelles présentées à cet oeil.


Il existe donc une période sensible au cours de laquelle les stimulations en provenance des deux yeux sont indispensables pour que la binocularité se mette en place.

En effet, des privations monoculaires plus brèves ou effectuées sur des chats plus âgés (plus de 6 semaines) n'aboutissent jamais à la perte fonctionnelle de l'oeil clos, même si les sutures sont maintenues plusieurs mois.

De même que pour la spécificité directionnelle, on constate que le cortex visuel peut potentiellement détecter des informations en provenance des deux yeux entre la naissance et la première semaine.

  • Si les chatons sont élevés dans un environnement visuel normal, on constate que son cortex peut recevoir les informations en provenance des deux yeux.
  • En revanche, si un oeil est resté clos entre S1 et S6, les neurones du cortex visuel ne sont plus capables de recevoir des informations en provenance de cet oeil.

Développement des barillets corticaux chez la souris

Les stimulations des vibrisses chez les rongeurs ont un rôle inducteur dans le développement des barillets corticaux, régions de l’aire somesthésique du néocortex du lobe pariétal.

L'étude du développement de ces barillets par Thomas A. Woolsey a démontré, comme les expériences de Hubel et Wiesel, l'existence de plasticité cérébrale et de période sensible pour ce développement.


Ces expériences - et nous aurions pu en prendre bien d'autres - démontrent la plasticité du développement cérébral en fonction des stimuli sensoriels, tant au niveau structurel que fonctionnel.

Théorie de la stabilisation sélective de Jean-Pierre Changeux


Comment peut-on expliquer ces phénomènes ?

Ces observations trouvent un support théorique intéressant dans la théorie de la stabilisation sélective proposée par Jean-Pierre Changeux au début des années 80.

Développement comportementalFacteurs génétiquesFacteurs épigénétiques
Périodes de développement comportemental du chien et du chat
Période prénatalePériode néonatalePériode de transition
Période de socialisation Période juvénile
Développement comportemental du chienDéveloppement comportemental du chat
Troubles du développement comportementalPrévention des troubles

Bibliographie
  • Hay M. - Ontogenèse des comportements - 3ème cycle professionnel des écoles nationales vétérinaires, Toulouse, 2000
  • Vaysse G., Médioni J. - L'emprise des gènes et les modulations expérentielles du comportement - Bios, Université Paul Sabatier, Privat, Toulouse, 1982
  • McFarland D. - Le comportement animal, psychobiologie, éthologie et évolution - De Boeck Université, Bruxelles, 613 p., 2001
  • Immelmann K. - Dictionnaire de l'éthologie - Pierre Mardaga Editeur, Liège, 296 p., 1990
  • Rosenzweig M.R., Leiman A.L., Breedlove S.M. - Psychobiologie  - DeBoeck Université, Bruxelles, 849 p., 1998