Histoire de l'éthologie
René Descartes (1596-1650) et le courant mécaniste

Citation

« S'il y avait de telles machines qui eussent les organes et la figure extérieure d'un singe ou de quelque autre animal sans raison, nous n'aurions aucun moyen pour reconnaître qu'elles ne seraient pas en tout de même nature que ces animaux. »

René Descartes

Sommaire

Après Aristote (382-324 av.JC) et le Moyen Age, vint la coupure épistémologique du XVIIe siècle, déjà esquissée au XVIe par Nicolas Copernic (1473-1543), avec Galilée (1564-1642), Johannes Kepler (1571-1630) et, surtout René Descartes (1596-1650), pour le sujet que nous développons ici.


Cette révolution conduisit les " scientifiques " à s'interroger plus précisément sur ce qui les entoure, en utilisant la physique triomphante : ils observent plus précisément grâce à l'invention d'instruments plus performants (lunette astronomique, microscope…) et, surtout, ils utilisent l'expérimentation.

C'est dans ce foisonnement intellectuel qu'arrive Descartes qui révolutionne le système de pensée de l'époque.


René Descartes (1596-1650) a dissocié pensée et matière et a introduit le dualisme dans notre monde moderne.

Dualisme cartésien

DescartesDescartes, en rompant avec tous les philosophes antérieurs, introduit deux formes de dualisme.

Un premier dualisme dit " dualisme cartésien " le conduit à différencier deux substances fondamentales de nature différente chez l'homme : le corps et l'esprit.

  • L'esprit est, selon Descartes, le siège de la pensée. L'âme est immatérielle, indivisible et intérieure (res cogitans ou " chose qui pense ").
  • Le corps est régi par les lois de la mécanique. Il est étendu (res extensa ou " chose étendue ") et peut être divisé.

« et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, étoit si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étoient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchois.

Puis, examinant avec attention ce que j'étois, et voyant que je pouvois feindre que je n'avois aucun corps, et qu'il n'y avoit aucun monde ni aucun lieu où je fusse; mais que je ne pouvois pas feindre pour cela que je n'étois point; et qu'au contraire de cela même que je pensois à douter de la vérité des autres choses, il suivoit très évidemment et très certainement que j'étois; au lieu que si j'eusse seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que j'avois jamais imaginé eût été vrai, je n'avois aucune raison de croire que Discours de la méthode de Descartesj'eusse été; je connus de là que j'étois une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui pour être n'a besoin d'aucun lieu ni ne dépend d'aucune chose matérielle; en sorte que ce moi, c'est-à-dire l'âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu'elle est plus aisée à connoître que lui, et qu'encore qu'il ne fût point, elle ne laiserroit pas d'être tout ce qu'elle est. »
Discours de la méthode : quatrième partie ( infos)

Ce premier dualisme en entraîne un second. Dans la nature, parmi toutes les formes vivantes, Descartes établit une séparation radicale entre l'homme et les animaux. Le premier est doté d'un esprit, d'une pensée. Les seconds en sont dépourvus.


L'animal est non seulement dépourvu de pensée, mais également perçu dans son fonctionnement comme l'équivalent d'une machine ( infos).

Morus écrit à Descartes dans sa première lettre : « De toute vos opinions sur lesquelles je pense différemment que vous, je ne sens pas une plus grande révolte dans mon esprit, soit mollesse ou douceur du tempérament, que sur le sentiment meurtrier et barbare que vous avancez dans votre méthode, et par lesquels vous arrachez la vie et le sentiment à tout ce qui est presque animé dans la nature, et pour les métamorphoser en marbres et en machines. »

Descartes répond : « Je sais bien que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m'en étonne pas ; car cela sert même à prouver qu'elles agissent naturellement et par ressort, ainsi qu'une horloge, laquelle montre bien mieux l'heure qu'il est que notre jugement ne nous l'enseigne. »


Glande pinéale de Descartes Descartes fonde ainsi un mécanisme radical avec son " animal-machine ". L'animal, comme l'homme dans ses actions les plus simples, possèdent des comportements purement réflexes.

Un scientifique comme Julien Offray de La Mettrie (1709-1751) poussera les idées de Descartes jusqu'au bout en publiant " l'homme-machine " en 1747 ( infos).

Pourtant, Descartes s'interrogea longuement sur les relations qui peuvent exister entre le corps et l'esprit. Pour expliquer leur relation, il plaça l'âme dans la glande pinéale.

« La nature m'enseigne, par ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc., que je ne suis pas seulement logé dans mon corps ainsi qu'un pilote en son navire, mais… que je lui suis conjoint très étroitement, et tellement confondu et mêlé que je compose comme un tout avec lui. » Seconde méditation métaphysique ( infos).

Adversaires de Descartes

SpinozaDescartes fut combattu, dès le XVIIe siècle.

  • Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) considérait que l'âme et le corps étaient séparés, mais réglés parfaitement entre eux par Dieu dans une " harmonie préétablie ", sans s'influencer l'un l'autre.
  • Baruch Spinoza (1632-1677) qui considérait que l'âme et le corps ne sont que des modes d'expression d'une substance unique appelée " Dieu “ ou la " Nature ".

Bien entendu, Descartes eut d'autres détracteurs dans les siècles qui suivirent. Le dernier en date est sans nul doute Antonio Damasio.

Le fameux « Je pense, donc je suis » (cf. plus haut) a été remis en cause dans ses livres " l'erreur de Descartes : la raison des émotions " et " Spinoza avait raison : joie et tristesse, le cerveau des émotions " où il inverse la proposition de Descartes en redonnant aux émotions un rôle dans le raisonnement et la prise de décision.

« Donc, à mes yeux, le fait d'exister a précédé celui de penser. Ceci est d'ailleurs vrai pour chacun de nous : tandis que nous venons au monde et nous développons, nous commençons par exister, et seulement après, nous pensons,. Nous sommes, et ensuite nous pensons, et nous ne pensons que dans la mesure où nous sommes, puisque la pensée découle, en fait, de la structure et du fonctionnement de l'organisme. » Damasio : " l'erreur de Descartes " p : 311

Pour illustrer cet état de fait, il est toujours surprenant de découvrir un grand nombre de neurotransmetteurs à rôle psychique et à rôle digestif comme les neuropeptides.

DamasioAprès Descartes, la psychologie se scinde en deux courants :

  • le courant vitaliste ( infos), qui luttera avec acharnement contre
  • le courant mécaniste qui est une conception matérialiste qui essaie d'expliquer tout par les lois physico-chimiques suivant le modèle des liens de cause à effet.


Toutes les écoles importantes postérieures à Descartes dérivent du courant mécaniste, mais avec une vision plus ou moins réductionniste des fonctions mentales des animaux et de l'homme.

Cette vision mécaniste déboucha sur deux disciplines différentes :

  • la physiologie et, en particulier pour notre sujet, le courant neurophysiologique ( infos),
  • le courant prépsychologique ( infos) qui conduira à la psychologie, et en particulier, à la psychologie comparative pour notre sujet.

Ces écoles mécanistes expliquent les comportements par les lois purement mécaniques et physiques : elles s'opposent aux vitalistes qui expliquent les comportements par des facteurs " totalisants " indéchiffrables ( infos).

  • Elles vont essayer, à tout prix, de nier le phénomène subjectif qui, pour elles, est impossible à déchiffrer.
  • Comme dit Eibl-Eibesfeldt dans l'introduction de " L'éthologie - Biologie du comportement " : « Ces écoles poursuivent une " psychologie sans âme " ».


Parallèlement, le courant naturaliste ( infos) traite, dans la continuité d'Aristote (382-324 av.JC), des sciences naturelles, c'est-à-dire de l'histoire de la terre, des animaux et de leurs comportements.

AristoteRené DescartesCourant vitalisteCourant neurophysiologiste
Courant prépsychologiqueCourant behavioriste Courant naturaliste
Ethologie objectiveInné-Acquis
Ethologie précognitive
Ethologie cognitive

Bibliographie
  • Gheusi G. - La cognition animale - 3ème cycle professionnel des écoles nationales vétérinaires - Toulouse 2000
  • de Witt Hendrick C.D. - Histoire du développement et de la biologie - Volume, I, II, III - Presses polytechniques et universitaires romandes, Paris, 404, 460 et 635 p., 1992, 1993 et 1994
  • Eibl-Eibesfeldt I. - Ethologie - Biologie du comportement - Naturalia et Biologica Editions scientifiques Paris, 576 p., 1972
  • Bensch - Présentation de l'éthologie et des comportements - 3ème cycle professionnel des écoles nationales vétérinaires - Toulouse 2000
  • Campan R., Scapini F. - Ethologie, approche systémique du comportement - De Boeck Université, Bruxelles, 737 p., 2002
  • Université d'Oxford - Dictionnaire du comportement animal - Robert Laffont, Paris, 1013 p., 1990
  • Immelmann K. - Dictionnaire de l'éthologie - Pierre Mardaga Editeur, Liège, 296 p., 1990