Transformisme et évolutionnisme
Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829) : causes de la transformation des espèces

Citation

« Ce ne sont pas les organes, c'est-à-dire, la nature et la forme des parties du corps d'un animal, qui ont donné lieu à ses habitudes et à ses facultés particulières ; mais ce sont, au contraire, ses habitudes, sa manière de vivre, et les circonstances dans lesquelles se sont rencontrés les individus dont il provient, qui ont, avec le temps, constitué la forme de son corps, le nombre et l'état de ses organes, enfin, les facultés dont il jouit. »

Jean-Baptiste de Lamarck

Sommaire
  1. Connaissances au XIXe siècle
    1. Echelle des êtres
    2. Age du monde et création biblique
    3. Notion d'espèce
    4. Plans d'organisation et homologie
    5. Génération spontanée
    6. Reproduction et développement
  2. Transformisme et évolutionnisme
    1. Question de sémantique
    2. Antiquité
    3. Moyen Age musulman
    4. Avant Darwin
      1. Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788)
      2. Erasmus Darwin (1773-1802)
      3. Etienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844)
      4. Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829)
        1. Lamarck naturaliste
        2. Concept de transformisme
        3. Causes de la transformation des espèces selon Lamarck
          1. Usage et non-usage des parties
          2. Transmission des caractères acquis
          3. Critique du transformisme par un fixiste
          4. Critique du darwinisme par un transformiste
    5. Charles Darwin (1809-1882)
      1. Charles Darwin à Shrewsbury (1809-1825)
      2. Charles Darwin à Edimbourg (1825-1828)
      3. Charles Darwin à Cambridge (1828-1831)
      4. Voyage de Darwin sur le Beagle (27 décembre 1831- 2 octobre 1836)
        1. Travaux à bord du Beagle : géologie
        2. Travaux à bord du Beagle : zoologie
        3. Travaux à bord du Beagle : écriture du journal
      5. Charles Darwin avant la parution de l'Origine des Espèces (1836-1859)
        1. Vie de Charles Darwin entre 1836 et 1859
        2. Genèse de l'Origine des Espèces
        3. Rédaction de l'Origine des Espèces
        4. Darwin et Wallace
        5. Présentation de l'Origine des Espèces devant la société linéenne (1858)
        6. Succès et polémiques autour de l'Origine des Espèces
      6. Charles Darwin après la parution de l'Origine des Espèces (1859-1882)
        1. Ouvrages de Darwin après l'Origine des Espèces
        2. Réflexions de Darwin sur lui-même
        3. Conclusion de la vie de Darwin d'Henry de Varigny
      7. Théorie de l'évolution
        1. Textes de la théorie de l'évolution
        2. Idées fortes à retenir
      8. Questions de races
        1. Darwin et la question raciale
        2. L'eugénisme et le darwinisme social
        3. Vision actuelle
      9. Darwin et la religion
    6. L'évolutionnisme après Darwin
      1. Développement de la génétique
      2. Théorie synthétique de l'évolution ou néodarwinisme
      3. Théorie neutraliste et quasi-neutraliste
      4. Théorie des équilibres ponctués
  3. Classification phylogénétique et systématique génétique
    1. Cladistique
    2. Phénétique et phylogénie moléculaire
    3. Gènes de développement et systématique génétique
    1. Théorie du fixisme
    2. Résumé des idées fixistes
    3. Fixisme avant Darwin
      1. Carl von Linné (1707-1778)
      2. Georges Cuvier (1769-1832)
      3. Autres savants
    4. Darwin et Agassiz
      1. Darwin et ses " petits " mensonges
      2. Louis Agassiz (1807-1873) : adversaire obstiné de Darwin
    5. Darwin et les Chrétiens
        1. Chrétiens proches de Darwin
        2. Le fixisme aujourd'hui

Bibliographie

Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829), après avoir démontré que les espèces se transforment ( infos), explique la cause de ces transformations.

Usage et non-usage des parties

Lamarck pense, contrairement à Buffon ( infos), que les circonstances du milieu n'agissent pas sur les êtres vivants directement, mais influencent leurs habitudes, qui, à leur tour, modifient les organismes en développant ou en atrophiant des organes : cette théorie est décrite sous le nom la " théorie de l'usage ou du non-usage des parties ".

« Mais de grands changemens dans les circonstances amènent, pour les animaux, de grands changemens dans leurs besoins, et de pareils changemens dans les besoins en amènent nécessairement dans les actions. Or, si les nouveaux besoins deviennent constans ou très-durables, les animaux prennent alors de nouvelles habitudes, qui sont aussi durables que les besoins qui les ont fait naître.  » Philosophie zoologique, : 220

Girafes de Lamarck« Il n'est pas douteux qu'à l'égard des animaux, des changemens importans dans les circonstances où ils ont l'habitude de vivre, n'en produisent pareillement dans leurs parties ; mais ici les mutations sont beaucoup plus lentes à s'opérer que dans les végétaux, et, par conséquent, sont pour nous moins sensibles, et leur cause moins reconnoissable.…
Or, le véritable ordre de choses qu'il s'agit de considérer dans tout ceci, consiste à reconnoître :

1) que tout changement un peu considérable et ensuite maintenu dans les circonstances où se trouve chaque race d'animaux, opère en elle un changement réel dans leurs besoins ;
2) que tout changement dans les besoins des animaux nécessite pour eux d'autres actions pour satisfaire aux nouveaux besoins et, par suite, d'autres habitudes ;
3) que tout nouveau besoin nécessitant de nouvelles actions pour y satisfaire, exige de l'animal qui l'éprouve, soit l'emploi plus fréquent de telle de ses parties dont auparavant il faisoit moins d'usage, ce qui la développe et l'agrandit considérablement, soit l'emploi de nouvelles parties que les besoins font naître insensiblement en lui, par des efforts de son sentiment intérieur ; ce que je prouverai tout à l'heure par des faits connus…

Première Loi.

Dans tout animal qui n'a point dépassé le terme de ses développemens, l'emploi plus fréquent et soutenu d'un organe quelconque, fortifie peu à peu cet organe, le développe, l'agrandit, et lui donne une puissance proportionnée à la durée de cet emploi ; tandis que le défaut constant d'usage de tel organe, l'affoiblit insensiblement, le détériore, diminue progressivement ses facultés, et finit par le faire disparoître.

Arbre phylogénétique des mammifères marins Deuxième Loi.

Tout ce que la nature a fait acquérir ou perdre aux individus par l'influence des circonstances où leur race se trouve depuis long-temps exposée, et, par conséquent, par l'influence de l'emploi prédominant de tel organe, ou par celle d'un défaut constant d'usage de telle partie ; elle le conserve par la génération aux nouveaux individus qui en proviennent, pourvu que les changemens acquis soient communs aux deux sexes, ou à ceux qui ont produit ces nouveaux individus.

Ce sont là deux vérités constantes qui ne peuvent être méconnues que de ceux qui n'ont jamais observé ni suivi la nature dans ses opérations, ou que de ceux qui se sont laissés entraîner à l'erreur que je vais combattre.
Les naturalistes ayant remarqué que les formes des parties des animaux, comparées aux usages de ces parties, sont toujours parfaitement en rapport, ont pensé que les formes et l'état des parties en avoient amené l'emploi : or, c'est là l'erreur ; car il est facile de démontrer, par l'observation, que ce sont, au contraire, les besoins et les usages des parties qui ont développé ces mêmes parties, qui les ont même fait naître lorsqu'elles n'existoient pas, et qui, conséquemment, ont donné lieu à l'état où nous les observons dans chaque animal. »
Philosophie zoologique, p: 230 et suivantes

Transmission des caractères acquis

Lamarck en déduit que le milieu et les habitudes ont modelé les espèces par de petites variations transmissibles par l'hérédité : c'est ce que l'on appelle la " transmission des caractères acquis ". Cette théorie épigénétique revient à la mode à l'heure actuelle après avoir été jeté aux orties pendant près de deux siècles ( infos).

ArcheopteryxOn peut en déduire que pour lui l'espèce, en tant que telle, n'est qu'une variété d'êtres vivants bien fixés. En fin de compte, les espèces ne sont que des productions de l'esprit de l'homme en un temps t, car elles sont en perpétuel changement.

« On sait que des lieux différens changent de nature et de qualité, à raison de leur position, de leur composition et de leur climat ; ce que l'on aperçoit facilement en parcourant différens lieux distingués par des qualités particulières ; voilà déjà une cause de variation pour les animaux et les végétaux qui vivent dans ces divers lieux. Mais ce qu' on ne sait pas assez, et même ce qu' en général on se refuse à croire, c'est que chaque lieu lui-même change, avec le temps, d'exposition, de climat, de nature et de qualité, quoique avec une lenteur si grande par rapport à notre durée, que nous lui attribuons une stabilité parfaite. Or, dans l'un et l'autre cas, ces lieux changés changent proportionnellement les circonstances relatives aux corps vivans qui les habitent, et celles-ci produisent alors d'autres influences sur ces mêmes corps.
On sent de là que s'il y a des extrêmes dans ces changemens, il y a aussi des nuances, c'est-à-dire, des degrés qui sont intermédiaires et qui emplissent l'intervalle. Conséquemment, il y a aussi des nuances dans les différences qui distinguent ce que nous nommons des espèces. il est donc évident que toute la surface du globe offre, dans la nature et la situation des matières qui occupent ses différens points, une diversité de circonstances qui est partout en rapport avec celle des formes et des parties des animaux, indépendamment de la diversité particulière qui résulte nécessairement du progrès de la composition de l'organisation dans chaque animal. Dans chaque lieu où des animaux peuvent habiter, les circonstances qui y établissent un ordre de choses restent très-long-temps les mêmes, et n'y changent réellement qu'avec une lenteur si grande que l'homme ne sauroit les remarquer directement. Il est obligé de consulter des monumens pour reconnoître que dans chacun de ces lieux l'ordre de choses qu' il y trouve n'a pas toujours été le même, et pour sentir qu'il changera encore.
Evolution Les races d'animaux qui vivent dans chacun de ces lieux y doivent donc conserver aussi longtemps leurs habitudes : de là pour nous l'apparente constance des races que nous nommons espèces ; constance qui a fait naître en nous l'idée que ces races sont aussi anciennes que la nature.
 »
Philisophie zoologique, p: 229-230

« La Nature, cet ensemble immense d'êtres et de corps divers, dans toutes les parties duquel subsiste un cercle éternel de mouvemens et de changemens que des lois régissent ; ensemble seul immutable, tant qu'il plaira à son SUBLIME AUTEUR de le faire exister, doit être considérée comme un tout constitué par ses parties, dans un but que son Auteur seul connoit, et non pour aucune d'elles exclusivement. Chaque partie devant nécessairement changer et cesser d'être pour en constituer une autre, a un intérêt contraire à celui du tout ; et si elle raisonne, elle trouve ce tout mal fait. Dans la réalité, cependant, ce tout est parfait, et remplit complètement le but pour lequel il est destiné. » Philisophie zoologique, p: 465-466


Quoi qu'en ait pensé notre cher Charles Darwin (1809-1882) qui critiqua vertement Lamarck, sa théorie n'était pas très éloignée de la sienne. Il le reconnaît quand il écrit la fameuse lettre de 1844 à Joseph Dalton Hooker ( infos) : « Le ciel me préserve des sottes erreurs de Lamarck, de sa " tendance à la progression ", et des adaptations " dues à la volonté des animaux ", etc. ; mais les conclusions auxquelles je suis amené ne diffèrent pas beaucoup des siennes, bien que les agents des modifications soient entièrement différents. »

Critique du transformisme par un fixiste

Jules Barthélemy-Saint Hilaire (1805-1895) écrit, en 1883, dans la préface de " l'Histoire des Animaux " d'Aristote ( infos).

Jules Barthélémy-Saint-hilaire (1805-1895)« Un zoologiste français, Lamarck, avait insisté, plus que personne avant lui (1809), sur les variations que les diverses espèces d'animaux subissent sous l'action continue des circonstances où ils sont placés. Non moins aventureux dans sa philosophie zoologique que dans sa chimie, Lamarck avait exagéré la variabilité de l'espèce jusqu'à cette hypothèse de faire sortir d'une même et seule origine tous les êtres vivants; les modifications, amenées par la suite indéfinie des temps, se fixaient et se transmettaient par l'hérédité, sans qu'il y eût de terme assignable à la transformation et au perfectionnement.
Ces vues audacieuses avaient été évidemment suscitées par les découvertes récentes de la paléontologie. Aussi, Cuvier fut-il le premier à les combattre; il ne les discuta pas expressément, parce qu'il ne les croyait pas dignes d'une réfutation scientifique. Mais ces idées, indiquées plutôt qu'élucidées par l'auteur, ne devaient pas périr de si tôt; favorisées par le système de Geoffroy Saint-Hilaire sur l'unité de composition, également repoussé par Cuvier, elles vécurent assez obscurément dans le monde savant, jusqu'à ce que, reprises et élargies par M. Darwin, elles y reparurent avec éclat et y excitèrent un mouvement qui dure encore, et qui n'est pas près de cesser. Entre Lamarck et Darwin, il y a cette différence très notable que le premier admet résolument la génération spontanée (Archigonie), et que le second, dont le coeur était fort religieux, croit à l'action primordiale d'un Créateur, qui a communiqué la vie à la matière, impuissante à la produire par ses seules forces. Sauf ce dissentiment fondamental, le Darwinisme, nommé aussi le Transformisme, n'est que la doctrine de Lamarck, corroborée d'une masse énorme d'observations, qui peuvent nous intéresser bien plutôt que nous convaincre. Supposer que tous les êtres organisés, animaux et végétaux, quelque diversifiées que leurs formes nous paraissent aujourd'hui, viennent d'un premier germe, Sarcode et Protoplasma, c'est une sorte de rêverie qui nous reporte aux théories puériles d'Empédocle, victorieusement combattues par Aristote et chantées par Lucrèce, ou à cette fantaisie non moins étrange de l'oeuf du monde, imaginé par les Brahmanes. Quelle opinion le zoologiste grec aurait-il eue du Transformisme, on peut se le figurer d'après ses ouvrages, et aussi d'après la condamnation sévère qu'a prononcée Cuvier.
Caricature du lamarckisme par Caran d'Ache Il faut se dire, d'ailleurs, que le Transformisme est un problème de cosmogonie, et non de zoologie ; la preuve, c'est qu'il s'appuie surtout, comme le remarque Littré, sur l'embryogénie et sur la paléontologie. Quelque idée qu'on se forme de l'origine des choses, la zoologie n'a pas à se prononcer sur ces obscurités impénétrables, qui se perdent dans la nuit des siècles écoulés; elle doit se borner au spectacle actuel que nous offre la nature, assez varié et assez clair pour satisfaire notre curiosité et notre science.
Le seul avantage du Transformisme, si c'en est un, c'est de tenter de refaire l'échelle des êtres un peu plus régulièrement qu'on n'avait pu l'établir jusqu'ici. Des Protozoaires aux Protistes et à l'homme, toute l'animalité semble se tenir par une série sans lacunes, à laquelle on compte sans doute rattacher plus tard et la botanique et la minéralogie, si, pour le moment, on doit s'en tenir provisoirement aux êtres animés.
»

Critique du darwinisme par un transformiste

Dans " l'oeuvre de Lamarck " écrit en 1913 ( infos), Félix Le Dantec résume les critiques des darwinistes :

« Si Lamarck a fait preuve d’un génie prodigieux en inaugurant le système transformiste, il a été peut-être plus extraordinaire encore en trouvant, du premier coup, les lois fondamentales de l’évolution des êtres vivants, et en écartant immédiatement les phénomènes secondaires qui ont égaré Darwin et ses disciples.
On trouvera (au chapitre VII de la Philosophie zoologique), l’énoncé des deux principes qui expliquent toute l’histoire des lignées vivantes. Le premier est le principe du développement des organes par l’habitude ; le second est celui de la transmission héréditaire des caractères acquis par le fonctionnement habituel. Il est permis de dire que ces deux principes résument toute la Biologie. On en a cependant nié la valeur :
1° Des transformistes avérés ont dit que les deux principes de Lamarck sont insuffisants, et qu’il leur en faut ajouter de nouveaux ;
2° D’autres naturalistes, qui, cependant, se croient transformistes, ont nié, non pas la puissance explicative, mais la vérité même des principes de Lamarck ;
3° Enfin, tout récemment, on a voulu établir que l’évolution des espèces procède par bonds, et que les variations lentes étudiées par Lamarck n’ont aucune valeur comme agents de transformation spécifique.
»

Vous pouvez lire les réponses qu'il donne à toutes ses critiques.

Et arriva Charles Darwin !

Connaissances au XIXeEvolutionnismeAntiquitéMoyen AgeBuffon
Erasmus DarwinGeoffroy Saint-HilaireLamarckTransformisme de Lamarck
Charles Darwinl'Origine des EspècesThéorie de l'évolution
Développement de la génétiqueNéodarwinismeClassification phylogénétique
Systématique génétiqueFixisme

Bibliographie
  • de Witt Hendrick C.D. - Histoire du développement et de la biologie - Volume, I, II, III - Presses polytechniques et universitaires romandes, Paris, 404, 460 et 635 p., 1992, 1993 et 1994
  • Darwin on line
  • Darwin Ch. - Voyage d'un naturaliste autour du monde - Maspero, Paris, 2 volumes, 251 et 299 p., 1982
  • Rostand J. - Charles Darwin - Gallimard, Paris, 237 p., 1947
  • Conry Y. - Darwin, théorie de l'évolution (textes choisis) - PUF, Paris, 233 p., 1981
  • Thuillier P. - Darwin & C° - Editions Complexe, Bruxelles, 210 p., 1981
  • Eibl-Eibesfeldt I. - Ethologie - Biologie du comportement - Naturalia et Biologica Editions scientifiques Paris, 576 p., 1972
  • Campan R., Scapini F. - Ethologie, approche systémique du comportement - De Boeck Université, Bruxelles, 737 p., 2002
  • Université d'Oxford - Dictionnaire du comportement animal - Robert Laffont, Paris, 1013 p., 1990
  • Immelmann K. - Dictionnaire de l'éthologie - Pierre Mardaga Editeur, Liège, 296 p., 1990